
Le cuir peut-il être éthique ?
by Clara Fornairon, éditrice free-lance, credit photo: Hettabretz
Le 4 mars 2018, Clare Weight Keller, directrice artistique Givenchy, annonçait en amont de son défilé Automne-Hiver 18/19 qu’elle cessait désormais de réaliser des modèles en vraie fourrure. Preuve à l’appui, le défilé ne comptait que des pièces en fausse fourrure, matière ayant nécessité plus de 3 mois de recherche et développement, comme l’expliquait la créatrice sur son compte Instagram. Avant la marque française, d’autres grandes maisons de luxe ont fait le choix d’arrêter d’utiliser de la vraie fourrure. En octobre 2017, Gucci explique qu’elle cesse d’en commercialiser, avant Michael Kors, qui annonce qu’à partir de 2018, la fourrure sera bannie de ses collections, les deux marques privilégiant la fausse fourrure, au même titre que Givenchy. Mais le pionnier reste Calvin Klein, qui, en 1994 et alors qu’il est toujours à la tête de la maison, déclare ne plus vouloir utiliser de fourrure pour ses créations.
Depuis quelques années, de nombreuses marques emboitent le pas de la fausse fourrure, à l’instar d’Armani, Hugo Boss, Tommy Hilfiger ou Versace, la dernière en date. Si ces prises de position semblent rassurantes quant à l’engagement du luxe pour le bien-être animal, elles interrogent sur un autre matériau polémique : le cuir. Prêtes à sacrifier la fourrure, apparat ancestral du luxe – Agnès Sorel, favorite de Charles VII, porte déjà de la martre ou de la zibeline en 1450 à la cour de France – les maisons de mode n’évoquent jamais la question du cuir. Seule Stella McCartney, pionnière du luxe éthique, fait l’apologie du cuir vegan, alliage de matières non animales reproduisant l’aspect du cuir conventionnel – à ne pas confondre avec cuir végétal, dont le tannage est réalisé à l’aide de décoction de plantes, non toxiques pour celui qui le porte.
Si la fourrure animale est désormais quasiment bannie des podiums, le cuir reste quant à lui un élément central de la création de mode, que les grandes maisons ont tout intérêt à ne pas remettre en cause. Les sacs à main, chaussures et autres accessoires en cuir ne se sont jamais aussi bien vendues qu’aujourd’hui, objets du désir autant que statutaires. Vestiaire Collective faisait paraître en 2017 son classement des meilleures ventes de sacs, mettant en avant l’aura quasi immuable de certains modèles, avec en tête le Timeless de Chanel, suivi du Speedy de Vuitton et du Birkin d’Hermès. Le Falabella de Stella McCartney, en cuir vegan et doublure en polyester recyclé arrive tout de même à la 11ème place. Il est intéressant de se pencher sur ce classement, dans le mesure où il émane d’un site de vente d’occasion et pose la question suivante : le cuir de seconde-main peut-il être considéré comme éthique ? Plus durable, il l’est sans aucun doute, son impact environnemental étant mieux amorti. Mais la souffrance animale a bel et bien été à l’origine de la création.
Il nous semble par ailleurs important de rappeler que le cuir utilisé par l’industrie de la mode n’est pas toujours le résultat de la valorisation de la peau d’animaux ayant servi à l’industrie agro-alimentaire, de la même manière que les espèces élevées pour la qualité de leur fourrure ne servent qu’à réaliser écharpes et manteaux. Si on n’élève pas forcément les mêmes bêtes pour leur peau et pour leur chair, cette distinction ne s’applique pas à certains cuirs, notamment les cuirs bovins français. Malheureusement, les chiffres exacts sont aujourd’hui encore verrouillés, notamment sur les cuirs en provenance d’Asie. Si cette distinction peut sembler redondante, il nous paraît important de la souligner à l’heure où de nombreuses personnes se penchent sur leur consommation de viande et où l’on est invités à mieux, et donc moins, consommer de produits d’origine animale.
Certaines marques de maroquinerie ou de prêt-à-porter font la part belle à un cuir végétal, au tannage non toxique, travaillés dans le respect de la matière et de l’homme qui la façonne, à l’instar de La Botte Gardiane ou APC pour le secteur premium, ou Hermès et Chanel pour le secteur du luxe. Cependant, cette démarche, conséquence de l’évolution de la demande consommateur, reste assez minoritaire, et de nombreuses enseignes, notamment de la fast fashion, continuent de proposer des articles en cuir aux conditions de production discutables. Des efforts sont tout de même fait du côté de l’offre vegan, avec de nombreuses options sans matière animale, mais souvent en polyuréthane, dérivé du pétrole et dont on connaît les limites environnementales. Les marques strictement vegan étant un autre sujet méritant un réel approfondissement, nous ne ferons qu’en citer quelques-unes : Cosi Cosi, Beyond Skin ou même DocMartens pour certains modèles. Pour certaines personnes végétariennes soucieuses de leur impact environnemental, la solution reste de porter exclusivement du cuir de seconde-main.
Le 14 juin, la marque californienne Reformation, connue pour son engagement durable, lançait sa gamme de sacs à main. Une poignée de modèles en cuir ajouré, inspiré des paniers à la Bardot, dans la continuité d’une ligne d’espadrilles en daim sortie au printemps. Le RefScale, outil de mesure de l’impact environnemental créé par la marque, affiche des chiffres très contrastés d’avec la gamme de vêtements, en termes de consommation d’eau et d’énergie. Car produire un accessoire, un sac ou une paire de chaussures en cuir continue de coûter cher à la planète. Au-delà de la question de la souffrance animale, cette gamme renvoie à la question de l’impact de l’industrie du cuir pour notre planète. Certes, le tannage végétal ne présente pas de risque pour celui qui le porte, mais il relance le débat de bon nombre de penseurs, sociologues et gastronomes non vegan mais soucieux de l’avenir de la planète : mieux consommer, est-ce seulement moins consommer, ou simplement différemment ?